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Retrouvez les lauréats régionaux des concours culturels 2019-2020 !

28 septembre 2020

Depuis plus de 25 ans, les Crous organisent des concours nationaux de création étudiante.

Quatre sont soumis à un thème annuel : Nouvelle / Photo / Bande dessinée / Film court
Trois sont à thème libre : Théâtre / Danse / Musique.

Les sept concours de création étudiante sont ouverts à tous les étudiants inscrits dans un établissement d’enseignement supérieur français, à l’exception du concours de la nouvelle, également ouvert aux étudiants francophones.

Le thème de l’année 2019-2020 était « Alchimie »

L’action culturelle est au coeur des missions du réseau des Crous, et particulièrement :
∙ la valorisation des pratiques artistiques des étudiants grâce aux sept concours,
∙ le soutien à l’initiative étudiante avec le programme d’accompagnement aux projets étudiants « Culture Actions »
∙ une programmation tournée vers la jeune génération, via un réseau de salles de spectacle & lieux culturels.

Photo

Découvrez les lauréats régionaux sur le thème Alchimie / Catégorie Photo

#1 / Chloé Brouillet « Mutation de la création »
ECV Bordeaux • Licence 2 Arts appliqués

#2 / Clara Galibert « All She Me »
Université Bordeaux Montaigne • Master 1 Archéologie

Film court

Découvrez les lauréats régionaux sur le thème Alchimie / Catégorie Film court

#1 / Marin Pobel « La Fausse Extase de la Cage »
Université de Bordeaux • Licence 3 Informatique

#2 / Jules Marrassé « Malchimièvre »
Université Bordeaux Montaigne • Licence 1 Lettres

Bande Dessinée

Découvrez les lauréats régionaux sur le thème Alchimie / Catégorie Bande Dessinée

#1 / Louis Boucher «Microcosme »
Université Bordeaux Montaigne • Master 1 Géopolitique et Relations internationales du XVIème au XXIème siècle

#1 / Guillaume Cordier «Paracelse »
Université Bordeaux Montaigne • Master 1 Archéologie

lire la suite (cliquez sur la page pour agrandir)

Nouvelle

Découvrez les lauréats régionaux sur le thème Alchimie / Catégorie Nouvelle

#1 / Vincent Bernard «Substance morne»
Bordeaux INP-ENSC • Master 2 Informatique

Substance morne

Franck s’assit dans son fauteuil, non pas sans difficulté, et émit un petit grognement, synchrone avec le grincement des ressorts de la vieille assise. C’est le lot de tous, les douleurs aux articulations qui viennent avec l’âge, se disait-il. Il leva les yeux et regarda les yeux fatigués de l’homme qui lui faisait face.

Franck avait été studieux dans sa jeunesse, et avait rencontré Elisabeth sur les bancs de l’école à la fin de sa scolarité. Postier et elle secrétaire à l’hôtel de ville, ils avaient suivi le plan classique des baby-boomers. Après le mariage et l’emprunt à la banque pour la petite maison dont ils rêvaient, ils avaient eu un petit garçon, Thomas. Mais après l’accouchement difficile d’Elisabeth, ils avaient convenu que Thomas serait fils unique. Une dizaine d’années de bonheur s’était écoulée jusqu’à l’appel de l’hôpital à l’aube d’un matin ensoleillé les prévenant que leur fils adoré avait échappé à la mort de peu, faisant une overdose alors qu’il fêtait la fin du lycée.
En parents attentionnés ils avaient fait tout leur possible pour Thomas, mais cela ne l’avait pas empêché de partir une dizaine de mois plus tard, malgré les efforts de l’équipe médicale dépêchée en urgence. Elisabeth l’avait trouvé dans sa chambre, les lèvres bleues pleines d’écume.

Terrassés par la mort de leur fils, ils avaient combattu leur mal-être en s’investissant dans diverses associations pour faire. La culpabilité et la tristesse de Franck et Elisabeth s’exacerbant par l’inactivité, ils s’étaient jetés de toute leur âme dans ces activités bénévoles. Chaque soir après le travail, ils avaient participé aux réunions, ateliers, formations, actions dans la rue pour sensibiliser, aider, voire sauver les jeunes de ce dont ils n’avaient pas su sauver leur fils. Malgré les nombreuses formations suivies, le premier toxico qu’ils avaient arraché aux bras de la faucheuse avait été un calvaire ; bien sûr, le formateur n’avait pu les préparer à la réalité du terrain, dans le cadre aseptisé des exercices d’entrainement, mais le plus dur avait été le moment où ils avaient découvert le visage juvénile de leur patient. Ils avaient alors réalisé pleinement que s’ils avaient appris les bons gestes, ils auraient pu sauver Thomas comme ils venaient de sauver ce jeune inconnu.

L’expérience avait été difficile mais avait réaffirmé leur résolution d’aider et de protéger du mieux qu’ils pouvaient les victimes de la drogue. Troquant lieux mondains des boulevards et amis contre foyers, quartiers mal famés et camés, ils avaient même délaissé progressivement leurs emplois respectifs pour pouvoir donner plus de leur temps. Ce n’est pas comme s’ils avaient eu besoin d’argent, la maison avait été remboursée et il n’y avait pas d’études à payer.

Ils étaient également devenus experts en chimie, en permanence au fait de toutes les molécules en circulation, leurs surnoms, leurs prix, avec quoi les substances étaient le plus souvent coupées. Il fallait se tenir à la page, des nouveautés apparaissaient sans cesse, mais côté médecine il y avait aussi des progrès. Ses formations avaient permis à Franck de disposer de flumazenil, contre les benzodiazépines, assez tôt, et la naxolone, antagoniste des morphiniques, venait compléter son attirail, ne le quittant jamais. On ne savait jamais quand on pouvait en avoir besoin, surtout lorsque l’on avait ses fréquentations.

Au fil des ans, Franck et Elisabeth avaient aidé, et même réanimé pour quelques-uns, de nombreuses personnes. Ils avaient aussi assisté aux enterrements d’autres, parfois des accros qu’ils avaient pourtant accompagnés durant des semaines. Ils avaient pu constater de leurs yeux ce qu’on leur avait dit quant au effets de ces substances sur le corps humain et le système nerveux. Les piqures amènent ulcères, cicatrices linéaires mais aussi infections toxiniques ; la came pouvait à tout moment être contaminée au cours du processus de fabrication et du transport jusqu’aux consommateurs. Et pour d’autres, c’était la dégradation des tissus et de la cloison nasale à force de sniffer de la merde.

Franck n’avait jamais vraiment compris dans quel contexte Thomas avait été amené à essayer ces bonheurs artificiels, mais au fil des échanges avec les jeunes qu’il rencontrait il avait saisi pourquoi son fils avait continué. On lui avait expliqué les effets des molécules sur le circuit de la récompense du cerveau, mais les entendre parler de l’euphorie ressentie c’était autre chose. Certains lui avaient confiés qu’ils savaient comment ils allaient finir, des abcès sur les bras et les jambes, mais ils ne pouvaient s’empêcher de s’injecter ces substances nocives. La sensation n’avait pas d’égale, c’était encore mieux que le sexe d’après ce qu’on lui avait dit. Et le rituel de la prise participait aussi : les toxicos frissonnaient d’avance de plaisir rien qu’à la vue de leur dose et de la préparation avant l’injection.

Franck et Elisabeth avaient donné toutes leurs forces dans leurs activités auprès des drogués de la région pendant de nombreuses années. Jusqu’à ce qu’on diagnostique un cancer à Elisabeth en fait. Son état s’était dégradé en quelques mois, et Franck avait compris qu’elle n’en avait plus pour longtemps lorsqu’on avait commencé à lui administrer de la morphine pour la soulager. On lui avait dit dans un premier temps que l’usage de cet opiacé est lié non pas à la gravité de la maladie mais à l’intensité de la douleur. Si la douleur est forte, cela ne signifie pas forcément que sa cause est grave lui disait un médecin, ce qui n’avait pas empêché Elisabeth de mourir quelques temps après.

Après ces longs mois à son chevet et quelques temps pour faire son deuil, Franck avait repris ses activités auprès des associations. En retraite depuis déjà quelques années, il y avait consacré tout son temps, s’usant peu à peu la santé, mais au moins cela lui avait occupé l’esprit.

Toute sa vie, depuis la seconde overdose de Thomas, ils les avaient fréquentés, ces zombies courant chaque jour après l’argent de la prochaine dose. Quand les gars qui sortaient de cure de désintox stoppaient réellement la came, c’était une petite satisfaction pour Franck et ses collègues. Certains arrivaient à recommencer leur vie, et Franck pouvait se dire que c’était en partie grâce à lui. Franck avait diminué ses actions auprès des toxicos, son médecin lui disait de se calmer. Puis il lui avait annoncé qu’il avait à son tour un cancer. Il avait commencé la chimio tout en continuant d’aider comme il le pouvait, et sa vie s’étaient scindée entre l’aide pour les drogués et les soins pour lui.

Il avait continué d’aider les camés, les trouvant parfois en manque, d’autres fois proches de la mort. Comme la fille d’hier soir. Un type l’avait interpelée à quelques centaines de mètres du foyer d’où il repartait pour qu’il vienne l’aider, sa copine faisait une overdose. Sa trousse de soin à portée de main comme toujours, il avait sorti son kit pendant que l’autre appelait le 15 avec le portable de Franck. Il avait ouvert la boîte, pris la seringue qu’il avait ensuite débouchée, puis avait vissé une des deux aiguilles inclues dans le kit, retiré le capuchon et planté le tout dans la cuisse de la jeune fille. Il avait dû injecter une seconde dose, comme sa fréquence respiratoire ne s’améliorait pas, avant de la mettre sur le côté après avoir constaté que la seconde injection était la bonne. Le jeune homme à ses côtés lui avait rendu son portable en souriant, des larmes débordant de ses yeux rougis en le remerciant. Il avait perdu son sourire un instant lorsqu’il avait remarqué que Franck avait confisqué le matos qu’il leur restait. Et c’est vrai qu’il y en avait pour une petite fortune, mais il n’avait rien dit lorsque Franck lui avait dit qu’il allait le remettre aux secours qui n’allaient pas tarder. Il lui avait donné un de ses speechs habituels pour qu’il arrête de se mettre en danger et accepte les aides qu’il lui proposait, mais il n’était pas sûr que le jeune l’avait écouté.

Franck détourna les yeux de son reflet et pris la seringue qu’il avait préparé. Il avait sauté sur l’opportunité que constituait la drogue des jeunes, qu’il n’avait pas remis aux secouristes. Il avait vu ce qu’était l’agonie d’un cancer et la lente déchéance du corps humain. Au moins saurait-il peut-être la raison qui poussait tant de personnes à s’empoisonner un peu plus chaque jour. L’aiguille pénétra la veine qui saillait sous le lacet serrant son avant-bras et Franck poussa le piston.

1399 mots

#2 / Jérémy Berthoud «Paisible et doré son envol»
Théâtre Ecole d’Aquitaine • Licence 3 Théâtre

Sur le canapé de mon deux pièces trente mètres carrés vue sur la place, j’attends que quelqu’un m’appelle pour sortir. C’est beau, l’espoir, surtout un mardi soir par les temps qui courent…

Sous mes fenêtres, pas un bruit, pas un passage, pas un cri, pas un cri de SDF, pas un caddie de SDF, pas un SDF. Pas un vibreur, pas une sonnerie, pas une notification sur mon portable. La pandémie a rongé nos habitudes. Entre deux publicités à caractère sexuel sur lesquelles je laisse traîner un œil innocent, je regarde un film en streaming illégal qui plante toutes les deux secondes.

Mon esprit vagabonde comme un papillon sur un pan de mur rongé de moisi, espérant que de cette errance jaillira quelque chose, un signe de l’univers, un miracle païen, chrétien, américain même, allez savoir… Que, pendant la seconde d’interruption où tournerait le petit symbole de chargement de la vidéo, un obus éclairera le ciel et annoncera le début de la troisième guerre mondiale, qu’on interdira la déforestation, que quelqu’un fera voter une loi contre l’obsolescence programmée, qu’enfin on condamnera à mort les gens qui ne ramassent pas les crottes de leur chien. Quelque chose qui comblerait le vide de mon existence, quoi.

 

Subitement se pétrifient la chair et mes os : trois minuscules trous sur mon plaid chamois lavé la veille. Trois trous. Et pas si minuscules que ça. J’arrivais à y passer l’auriculaire. Et l’annulaire. Et même le majeur, en forçant un peu.

Les mites. Encore elles. J’avais pourtant vérifié tous les emballages alimentaires… Mais j’avais oublié ma garde-robe… Elles en avaient profité… Je n’ai rien contre les mites, je trouve leur carcasse couleur or assez esthétique, dans le fond. Mais leurs assauts me faisaient métaphoriquement parlant péter les plombs.

 

Il est temps de partir au combat.

 

Je me précipite sous mon évier, me cogne la tête contre ledit évier, maudis l’évier, plonge les mains dans le tiroir, racle le bois vieilli, racle, racle, attrape une écharde, sors la main mutilée, souffle, souffle, mordille l’écharde qui ne sort pas, souffle, souffle, replonge la main, fouille, gratte, cogne, gratte gratte gratte… Le carton lisse des pièges à mites finit par caresser mes doigts. Merci papa. Je ne dirai plus que tes cadeaux d’anniversaire sont inutiles. J’hésite à lui écrire pour le remercier ; ça fait longtemps que je ne lui ai pas donné de nouvelles. Je ne le fais pas. Il faut d’abord entériner l’invasion. Avec un soin infini, je sors un triangle de papier collant et son appât circulaire pour attirer les bestioles.

Je pose l’objet sous quelques vêtements qui, si j’étais une mite, stimuleraient sans doute l’intégralité de mes sens : un jeans neuf, une chemise blanche, un pull bordeaux… Je les imagine déjà, les salopes, se jetant sous la pile, avides de tissus, soudain inopinément coincées sur l’adhésif. Rester coites un instant, ne pas saisir l’imminence du danger, se sentir happées, paniquer, vouloir se repousser loin de la paroi, sentir leurs pores se boucher jusqu’à l’asphyxie puis, écrasées, constater mon inénarrable triomphe… Il ne fallait pas s’attaquer à mon plaid de la sorte.

En retirant mes doigts de la pile d’habits, je constate que le piège s’est collé à mon pouce. Je tire un peu dessus avec les dents, il ne faudrait pas le casser. Je le remets en place, espérant qu’autour de moi aucune d’entre elles ne l’ait vu.

 

Et l’attente commence. Inexorable attente. Ne pas céder à la fatigue, ne pas baisser les paupières, ne pas laisser échapper un seul mouvement de mes mains, ne pas céder à la fatigue, ne pas… ne pas… Quelque chose s’agite dans la pièce. Torsion de tête. Crispation des épaules. L’écharde du tiroir s’enfonce dans ma chair. Contraction des côtes. Silence des poumons. Fausse alerte. J’allume mon portable. Trois minutes de passées. Plutôt mourir de vieillesse. Camarades à la carcasse dorée, mon indulgence ici vous est offerte. Fuyez tant qu’il en est encore temps…

 

Je me réinstalle sur le canapé de mon deux pièces. Le doigt blessé en bouche, portable en main, toujours humainement non-sollicité, j’envoie des flammes virtuelles à des mecs plutôt canons situés à 400 mètres dans l’espoir qu’ils aient envie de me câliner. J’ai mis sur l’appli une photo de moi avec mon meilleur profil, le gauche, et je regarde un point précis dans le vide. C’est l’image de moi que je préfère : posé, réfléchi, intelligent. Personne ne me répond ; il y a un petit métis assez mignon qui me donne envie de mordre dans sa peau légèrement halée, me perdre dans ses yeux chocolat, toucher son torse finement musclé… Mon fantasme est potentiellement raciste. Je culpabilise. Je l’efface de mon cerveau et j’y mets mon prof de gymnastique quadragénaire plutôt bien conservé.

Je baisse mes critères d’exigence : j’envoie des flammes à des profils sans visages, sur un malentendu, l’un d’entre eux ne sera peut-être pas trop laid. « FUN Now » ne répond pas (alors qu’il a mis now dans son pseudo), « Fais-moi gemir » sans accent aigu non plus. Dénuement ultime, je contacte le mec qui, sur sa photo, tient enlacé deux sortes de vieux chiens de traîneau mal douchés. Je déteste les chiens. Même lui me recale. A court d’arguments, je lui envoie un nude. Pas de réaction. Je suis dégoûté. La pandémie les aura dégonflés. Tous. Mon plaid est troué. Et j’ai une écharde.

 

J’ai soif. Je place ma bouilloire contre le robinet, de l’eau tombe sur le câble d’alimentation, j’ai un mouvement de recul. Je me fige, comme à l’intérieur d’une carapace. Je commence à flipper lourdement. Actionnant mes phalanges, je les approche de mon portable et je compose le 18. Je dois m’y reprendre à trois fois parce que je tremble, mais je dois les contacter, je n’ai pas envie de finir comme Claude François. Le réceptionniste me demande ce qui se passe, je lui donne nom, prénom, adresse et groupe sanguin au cas où il faudrait me transfuser. Dans la foulée, je lui raconte ma journée, je lui parle de mon père et de la météo. Je lui dis que je suis vraiment effrayé par les temps qui courent, la pandémie, les accidents… Tout devient sensible, on est au bord de l’apocalypse… Il ne répond pas, mais c’est rassurant de savoir qu’il est là. J’entends un toussotement au bout du fil. Je m’interromps, il doit être malade… Vous êtes malade ? Il tousse. J’hésite à raccrocher. Si ça se trouve, il est contagieux… On connaît tous l’influence des ondes, la maladie pourrait muter et m’atteindre. Il tousse de plus en plus fort, il ne parle pas, je reste immobile, je tremble, il tousse, je ne sais plus quoi faire, mes yeux se perdent sur mon ordinateur, le film n’avance toujours pas…

 

Au bout du fil, ça pouffe. Il me faut un moment pour comprendre, mais ça pouffe. De rire. Le réceptionniste du 18 est en train de rire. A gorge déployée. Il se fout de moi. La ligne se coupe. Le contact est coupé. Je suis seul. Il se fout de moi. Encore. J’en suis sûr. Il pouffe. Je rappelle immédiatement. Une femme décroche. Je recommence mes explications depuis le début. Elle me coupe net, elle me dit que j’occupe la ligne « inutilement », que ça peut être un obstacle pour les « vraies urgences ». Parce que mon urgence n’est pas réelle ?

Il n’y en a que pour les migrants ici, les pauvres petits migrants sans papiers qui, parce qu’ils ont traversé la mer sur un radeau, ont une légitimité dans la douleur. Et ma souffrance ? Je lui hurle. Elle a déjà raccroché. Elle a osé me raccrocher au nez. J’ouvre la fenêtre. Je hurle à la lune, aux étoiles, au quartier. Un « ta gueule, pédé, c’est une heure du matin » du balcon de ma voisine jaillit dans l’obscurité.

 

J’enfouis ma tête dans mon plaid massacré. La solitude me plombe. Mes yeux se crispent. J’aimerais que mon papa m’écrive. Mes lèvres se pincent. Ca n’arrive que dans les films, ça, papa ne m’écrira pas. Il y a de l’eau sur mes joues. Il y a de l’eau sur mon plaid. Il y a de l’eau sur le câble d’alimentation de ma bouilloire et dans la mer aux migrants. J’imagine les pères qui pleurent leurs enfants noyés, j’imagine mon papa pleurer si je me noyais aussi. Je renifle dans mon rouleau de sopalin.

 

Le film rame toujours. Je sens une douleur dans ma poitrine, comme si j’étais compressé quelque part. J’inspire, je sens un poids sur ma poitrine, non, ce n’est pas possible, je ne peux pas être malade, je ne peux pas, personne ne voudra m’aider, les pompiers ne viendront jamais me chercher, je n’ai pas d’amis, ma voisine est homophobe et mon prof de gym, quadragénaire. Mon portable vibre, « FUN Now » m’a répondu. Je le bloque. Now, c’est now, pas après. Fallait être là avant. Pas après. Now, c’est now. Et ce poids, ce poids, là, now

 

Amusant, ce tourbillon de chargement sur l’écran de l’ordinateur… La respiration ralentit dans mes épaules souriantes et se love sous mon nombril. La lune vient éclairer mon visage, le froid aussi. Je remarque que je n’ai pas fermé ma fenêtre. J’entends au loin une décharge sonore très puissante, je vois des lueurs qui rougeoient, des cris, des bleus, des oranges. Il fait mou en moi, il fait mou même quand je tousse. Dans le ciel apparaît le visage d’un métis aux yeux pailletés de brun et mon père. Des larmes coulent dans ma tête. Mon portable craque sous mes pieds, il gémit, « Fais-moi gemir » sans accent aigu. Les lueurs ondulent, l’écharde dans mon doigt s’envole, mes bras disparaissent, le plomb dans mes jambes se craquèle.

 

Peut-être que sur une terrasse de bar je croiserai quelqu’un que je connais… Il est temps de sortir. Même si tout est fermé. Je me précipite sur ma pile d’habits, commence à les déplacer un par un, le jeans, la chemise blanche, le pull bordeaux, très beau pull bordeaux, magnifique pull bordeaux. Je plante mes dents dans son tissu moelleux délicieux puis dans un jeans un peu plus résistant mais pas désagréable pour autant, un autre pull, un autre, un autre. Une odeur dans mes narines, une odeur onctueuse, d’où peut-elle bien venir ? Une odeur me fait négliger mes proies.

Je me perds entre couleurs et textures. Je me retrouve. C’est lui, c’est ce petit anneau qui sent si bon, que j’ai tant envie de mordre au travers… D’un élan doré, je me jette tout contre lui. Je ne peux pas le toucher. Etrange. J’arme mes ailes, prête à en découdre. Je me lance. Pas de mouvement. Je recommence, je me lance. Encore. Il me manque un demi-centimètre. Un demi-centimètre pour atteindre cette substance qui sent si bon, si bon, si bon. Mes ailes battent plus vite, si vite qu’elles pourraient se déchirer. Quelle importance ? Allons, ma grande !

Mes ailes ne battent plus. Mes antennes tiquent et s’écrasent sur une surface blanche. J’esquisse un mouvement qui ne se dessinera jamais. Je me débats mollement, pour la forme. J’ai envie de me reposer un peu, de me laisser aller. Mon corps de plomb n’est plus qu’une carcasse d’or, vibrant d’un cri sans voyelles, flottante comme un bouchon dans la mer aux migrants. Je ne me débats plus.

 

J’ai traversé cette soirée comme on traverse une existence. C’est décidé, je ne bougerai plus. Pour cette nuit. Le jour finira bien par se lever… Alors mes ailes se remettront à frapper contre la gravité, alors je passerai devant mon ordinateur qui tournera en rond sur un streaming illégal, sur le cadavre de mon portable aussi ; un court arrêt sur mon plaid chamois et ses trous minuscules et puis, d’un élan, je dépasserai la fenêtre. Une dernière pensée ira à mon père, un regard lointain sur le camion de pompiers qui sinuera dans les rues vides de ce monde malade et puis…

 

Quelque part, une lumière s’allume.

(2012 mots)

Danse

Découvrez les lauréats régionaux / Catégorie Danse

#1 / Tom Galy «November»
Université de Bordeaux • Licence 1 Sciences de la Vie

#2 / Emma Julien «« je » est un autre …»
Université de Bordeaux • Licence 1 AES

 

Théâtre

Découvrez les lauréats régionaux / Catégorie Théatre

#1 / Compagnie L’astulothèque (représentée par Laperche Calvo Quentin)
«Terres Brûlées»
Ecole supérieure d’art et de design des Pyrénées de Pau • Design Graphique Multimédia

Diffusion prochaine de l’oeuvre

#2 / Compagnie Boucs liés (représentée par Bernard Anatole)
«Feuilles Mortes»
Collectif d’étudiants Université de Bordeaux, Université Bordeaux Montaigne, Université Montaury, IFSI Xavier Arnozan, lycéens

Diffusion prochaine de l’oeuvre

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